Quand l’esprit des lieux habite l’œuvre : les maisons d’artistes
Lise Benoît, rédactrice et Claude Benoît, muséologue
Lieux de vie, d’exposition, de contemplation, de création… Des maisons-musées racontent l’inspiration et le travail d’artistes marquants de l’histoire de l’art au Québec.
De nature et d’art
Maison et atelier Rodolphe-Duguay à Nicolet
Sur le bord de la rivière Nicolet, la maison natale et le studio du peintre-graveur Rodolphe Duguay (1891-1973) vous ouvrent leurs portes. À l’ombre d’arbres centenaires, ces joyaux du patrimoine québécois témoignent de la vie familiale de l’artiste et des années partagées avec son épouse, la journaliste et poète Jeanne L’Archevêque. Quarante ans de création sont ainsi dévoilés.
La résidence d’inspiration néoclassique voisine avec l’Ermitage, un espace conçu selon les plans d’un atelier parisien habité par Duguay dans les années 1920. Le paysage champêtre, les échos du cours d’eau en contrebas et la richesse des couleurs semblent s’être déposés sur les toiles du peintre et dans les pages de l’écrivaine. Voilà, peut-être, le secret de leur art…
Là où naquit une belle histoire
Maison Samuel-Bédard au Musée Louis-Hémon
En 1912, un écrivain originaire de Bretagne, Louis Hémon (1880-1913) se rend à Péribonka au Lac-Saint-Jean. L’agriculteur Samuel Bédard l’engage comme garçon de ferme et lui offre l’hospitalité. Hémon en profite pour observer la famille Bédard, les travailleurs qu’il côtoie et les gens du petit village. Au printemps 1913, il écrit à Montréal une histoire d’amour tragique, celle de Maria Chapdelaine. Inspiré de Péribonka et de ses habitants, le roman est publié à titre posthume en 1916 et remporte un énorme succès.
Aujourd’hui, la demeure de Samuel Bédard invite à s’imprégner de la simplicité et du dépouillement typiques de l’époque de la colonisation. Sur le site, un pavillon contemporain abrite entre autres une exposition sur l’auteur et son œuvre. Ce cadre des plus agréables retrace la genèse de son art qui a contribué à la notoriété du Québec en France comme ailleurs.
Entre tradition et rupture
Domaine Ozias-Leduc et maison Paul-Émile Borduas,
sous la protection du Musée des beaux-arts de Mont-Saint-Hilaire
Ozias Leduc (1864-1955) voit le jour à Saint-Hilaire, village auquel il reste attaché toute sa vie. Parallèlement aux nombreuses peintures religieuses, murales et décorations d’églises qui caractérisent sa production, il tire de son environnement ses célèbres natures mortes, portraits et paysages. La maison natale de Leduc vise aujourd’hui à faire connaître l’œuvre et la pensée du maître. Nichée dans un grand verger, elle évoque avec bonheur le quotidien des agriculteurs et le milieu dans lequel l’artiste s’est épanoui.
En 1922, Leduc prend un apprenti sous son aile, le peintre Paul-Émile Borduas (1905-1960). Également natif de Saint-Hilaire, celui-ci y fait construire en 1945 une résidence avant-gardiste. En plus d'y produire une quantité importante d'œuvres, il y rédige un célèbre manifeste. À l’image de ses tableaux libres de toutes conventions, le Refus global dénonce l'obscurantisme de la société d’alors.
Grâce à des dons majeurs, le Musée des beaux-arts de Mont-Saint-Hilaire est devenu le gardien de ces deux résidences d’exception.
Pièce de collection
Maison Arthur-Villeneuve à La Pulperie de Chicoutimi
Un appel mystique aurait poussé Arthur Villeneuve (1910-1990), peintre-barbier autodidacte, à couvrir l’intérieur et l’extérieur de sa maison de peintures naïves, pittoresques et surréalistes. Son œuvre achevée, il décide d’y inviter le public, mais l’expérience ne fait pas l’unanimité. Certains y voient un outrage à l’environnement urbain, d’autres, un attrait touristique et patrimonial indéniable.
La demeure a été déplacée et intégrée au cœur d’un musée régional : La Pulperie de Chicoutimi. Autour de cet objet-phare, une exposition présente la carrière de Villeneuve, plusieurs de ses toiles ainsi que des stations interactives et une visite virtuelle de sa résidence. Le talent brut, le style personnel et l’imaginaire étonnant de l’artiste – auteur de près de 4000 tableaux et de 2000 dessins – sont merveilleusement mis en valeur. Il s’agit là d’une reconnaissance méritée de la place unique qu’il occupe dans l’histoire artistique québécoise du 20e siècle.
Un atelier dans une banque
Legs de Guido Molinari à Montréal
En 1964, Guido Molinari (1933-2004) acquiert une banque dans le quartier où il a grandi, Hochelaga-Maisonneuve. Il installe son espace de vie à l’étage et transforme le rez-de-chaussée en studio à l’intérieur duquel son art prend toute son ampleur.
Avant même d’atteindre la trentaine, le peintre, galeriste et auteur s’impose tant au pays qu’à l’international. Dans son atelier, il reçoit amis et élèves venus admirer ses collections d’œuvres de maîtres et d’artistes émergents.
À la fin de sa vie, il lègue toutes ses possessions à la Fondation qui porte son nom. La banque devient ainsi un centre d’exposition, de documentation, de conférence, de diffusion et de création qui encourage grandement la relève. Par ses réalisations, celles de ses pairs et de ses élèves qui y sont présentées, le leader de l’abstraction géométrique continue de transmettre sa passion à tous les « fous d’art » comme lui.