Les marbres du Parthénon ou le corps de Patrocle - IMPRIMÉ
Georges Armaos. «Les marbres du Parthénon ou le corps de Patrocle», Patrimoines et société, dir.: Jean-Michel Tobelem. Paris : L'Harmattan, 2001. ISBN : 2-7475-2677-1
POINT DE VUE SUR LES MARBRES DU PARTHÉNON : QUAND S'AFFRONTENT NATIONALISME CULTUREL ET TOURISME CULTUREL
Le 23 février dernier, on pouvait lire sur le site culturel de Radio-Canada que le British Museum mettrait fin aux négociations avec le gouvernement grec pour le rapatriement des marbres du Parthénon. En parallèle depuis quelques semaines, l’Espace professionnel de l’Observatoire de la SMQ prenait en exemple ce litige pour mettre en contexte sa question de sondage.
Pour bien comprendre le débat qui sous-tend le retour des marbres du Parhénon, il faut lire l’excellent texte de Georges Armaos, «Les marbres du Parthénon ou le corps de Patrocle», publié dans un ouvrage collectif Politique et Musées. Appuyé sur une solide bibliographie, Armaos reprend le fil historique de la controverse depuis les années 1940 et met en exergue l’analyse discursive des deux parties.
Il faut dire, comme le souligne l’auteur, que dès l’acquisition des marbres par le British Museum en 1816, il avait été question alors de restituer les sculptures dès que la Grèce en ferait la demande, mais ce n’est qu’en 1941, voulant remercier la Grèce pour son effort de guerre, que le gouvernement britannique jongle avec l’idée de leur rendre les marbres. À cette époque, un des hauts responsables du Foreign Office propose qu’« avant qu’ils ne soient rendus, des arrangements adéquats devraient être trouvés pour leur protection, leur exposition et leur préservation » (p. 107). Ce n’est qu’au milieu des années 1960 que le gouvernement grec abordera l’idée d’un futur musée.
Les arguments du clan « restitutionniste » évoquent entre autres que le monument auquel les marbres sont rattachés est en Grèce, qu’ils seront exposés à proximité du temple, qu’ils constituent un symbole de la civilisation de la Grèce antique et que les Britanniques ont une obligation morale de restituer les œuvres face à l’héritage culturel mondial.
Du côté des « rétentionnistes », on soutient que les marbres appartiennent d’une certaine façon au patrimoine britannique et que leur présence en Grande-Bretagne a eu un impact certain sur « l’éclosion des beaux-arts et l’étude des classiques » (p. 114), que les sculptures sont en sécurité, que les marbres ont été acquis légalement par le British Museum et qu’on ne peut les aliéner. De plus, le British Museum s’abrite sous la notion du « musée à caractère universel » pour justifier le statut quo.
Du côté des Grecs, il est faux de croire qu'à leur retour les marbres retrouveraient leur place originale sur le Parthénon. De plus, le gouvernement grec a amorcé trois concours architecturaux depuis 1976 et aucun n’a abouti : cafouillis gouvernementaux et problèmes de fouilles archéologiques importantes remettent en question le site pressenti et le programme architectural.
D’autre part, ainsi que le souligne l’auteur, la Grèce n’est pas en mesure présentement d’assumer les artéfacts issus des fouilles archéologies sur son propre territoire. « La richesse archéologique de la Grèce est telle qu’il n’existe ni assez d’argent ni une main d’œuvre suffisante pour satisfaire les demandes engendrées par les trouvailles présentes. » (p. 129).
Quant aux Britanniques, il est vrai que l’acquisition des marbres est discutable, mais Lord Elgin ne les pas volés! Quant à l’intégrité des sculptures, Armaos rapporte que des restaurations réalisées à la fin des années 1930 ont détruit «la surface, des traces de la peinture d’origine, de l’ornementation, le cirage et les traces des pointes du sculpteur inclues» (p. 119). Cette mauvaise restauration rendue publique en 1998 rendit caduque l’argument que les marbres étaient mieux protégés en Grande-Bretagne qu’en Grèce.
Quant à la problématique du «musée à caractère universel», il est clair pour plusieurs autres musées (le Metropolitan, le Louvre, l’Hermitage, le Museum Insel de Berlin, pour n’en nommer que quelques-uns), comme pour le British Museum, que le rapatriement des marbres constituerait «le début de la fin». «Des demandes similaires à celles des marbres du Pathénon ont été présentées pour la restitution d’objets déplacés pendant les siècles d’occupation coloniale et d’influence mondiale du Royaume-Uni, de la France, de l’Allemagne, des Pays-Bas, de l’Espagne, etc.» (p. 130). «La richesse des musées du monde occidental est énorme, tout cela constitue un problème qui évolue rapidement et dans des proportions considérables.» (p. 131). Faut-il croire que tout artéfact ou chef d’œuvre du monde doit être restitué à l’endroit où il a été créé se demande l’auteur? Où faire la démarcation entre ce qui est restituable et pas?
Armaos conclut : «Les Grecs et les Britanniques se battent pour quelque chose qui ne leur appartient pas vraiment, mais qui appartient à l’humanité tout entière. Les Britanniques – pas tous – veulent garder les sculptures du Parthénon parce qu’au bout du compte, cela représente le passé glorieux d’un empire qui n’est plus. Les Grecs – pas tous non plus – désirent le retour des sculptures comme un souvenir d’un autre passé glorieux et non moins impérialiste. Tous les deux les veulent parce qu’elles attirent ce qu’on appelle aujourd’hui le tourisme culturel et que ce dernier est devenu une partie importante de l’économie mondiale» (p. 133).
L’auteur estime que face à l’impasse, il importe que des décisions politiques soient prises le plus tôt possible car « Ce qui compte en dernière instance, c’est l’existence et la présence physique de tel ou tel objet à un endroit spécifique, ainsi que le désir ou la volonté politique de le garder sur place, de le déplacer ou de le rendre à son «ayant droit» (p.132).
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